Parution presse - Cyclist n°50 - Portrait Emile Mercier

Ce texte est présenté tel que publié dans le n°50 de la revue Cyclist (sept/oct 24), édition française. Texte: Thomas Caussé, photographies: Charlotte Lindet.

Émile - Merci la vie

Descendant direct du fondateur des Cycles Mercier, Émile Mercier a fait renaître la marque via une collection textile. L'histoire d'une vie pleine d'aventures. 

Le vélo, c'est fantastique. Dans le sens littéraire du terme. C'est un monde où se mêlent réel et surnaturel. Un monde où défilent les légendes et s'affairent les icônes. Monts et merveilles. Donjons et dragons. Aussi, quand on s'apprête à rencontrer Émile Mercier, deuxième du nom, neveu d'un autre Émile, fondateur des Cycles Mercier, on se projette façon cinémascope. On s'attend à discuter avec celui qui a tout vu et tout connu avec les fameux vélos roses. Une enfance au bord des routes, à bord de la caravane, des soirées à sauter sur les genoux de tonton Poulidor... Ce fantasme, ce fantastique propre au monde du vélo. Et puis, il y avait la vie, la vraie. « Maman travaillait aux Cycles Mercier et papa n'était plus là. Il est mort quand j'avais trois ans. Du coup, quand j'étais gosse, l'été, maman avait pris l'habitude de nous envoyer en camps scouts. Ça se passait sur les bords du lac d'Annecy. Un endroit calme et rassurant. Alors, le Tour de France, on voyait ça de très loin. Je me souviens juste d'une fois où mon oncle était venu me chercher pour assister à une étape à Aix-Les-Bains. Mais c'étaient des situations très rares. Bon, ce n'est pas très vendeur comme début d'histoire mais en vrai, petit, j'étais assez éloigné de tout ça. » La légende en prend un coup. Elle laisse place à un récit moins fantasque, mais tellement plus riche… et nettement plus marquant.

Courant continu et petites coupures

En dépit de cette enfance distante du cyclisme, c'est bien le vélo qui a façonné le destin d'Émile Mercier. Le vélo lui donnera de l'abnégation, de la volonté. Ne jamais baisser les bras, ne jamais renoncer devant la difficulté. Orphelin de père, Émile deviendra orphelin tout court à l'adolescence avec la disparition de sa mère. Le petit dernier ne perd pas les pédales pour autant (ils sont six dans la fratrie). Diplômé d'école de commerce, il fait carrière dans l'industrie textile, part bosser pour de grandes marques de cosmétique, tâte un peu de la finance et effectue encore aujourd'hui des missions de consulting en marketing. Et le vélo. Toujours. En courant continu. Sans coupure malgré les coups durs. « J'ai beaucoup pédalé dans ma jeunesse. Autour de Saint-Étienne. Des cyclosportives, tout ça. Le vélo, je le vivais aussi via les jobs d'été chez Mercier. Avant de nous quitter, ma mère avait donné l'impulsion. Bosser à l'usine. C'étaient des p'tits boulots. Des trucs qui ne demandaient pas un savoir-faire énorme mais ça m'a donné le sens et le respect de certaines valeurs. J'avais été pris sous l'aile du directeur financier. Il me faisait remplir des bordereaux. Je m'occupais aussi d'une mission toute particulière. On recevait des courriers à l'usine avec des coupures de presse envoyées par des amateurs qui avaient fait un podium le week-end sur un vélo Mercier. En échange, on leur envoyait un chèque ! C’était 30 francs s'ils étaient premier, 20 francs s'ils étaient deuxième, etc. » Mais ce que le jeune Émile adore par-dessus tout, c'est traîner dans les ateliers. Fasciné par le travail de soudure, de brasure des cadres. Observer et admirer ce qui se passe dans les cabines de peinture avec les gestes précis et réguliers de l'émaillage. « Mais comme je n'avais pas le bagage technique, on me collait au montage des roues ou au service d'expéditions pour l'international. » Nous sommes rendus aux années 1960-1970, la manufacture tourne à plein. Sauf que tout est cyclique dans l'industrie du cycle. Les vélos Mercier cèdent peu à peu du terrain face à la concurrence jusqu'à perdre définitivement la face. Dépôt de bilan en 1985. Émile assiste, impuissant et désemparé, à la fin de l'histoire, mais ne s'avoue pas vaincu.

Le nom et la renommée

Même disparu des champs de course, le nom de Mercier conserve son aura et son magnétisme. « En toute objectivité, mon père et mon oncle ont été vraiment bons dès le départ, tient à souligner Émile Mercier. Émile et Marcel ont eu très vite l'intuition de faire entrer Mercier dans le monde des grandes compétitions et même si la compta était un truc très secret à l'époque, le service course était auto-suffisant. En gros, le sponsoring de l'équipe ne faisait pas perdre d'argent à la boîte. Hormis la fourniture des vélos, les autres dépenses étaient couvertes par les partenaires : Hutchinson, BP, Fagor, Miko, Gan, etc. Le modèle économique était donc sain et cela faisait beaucoup pour attirer des coureurs, et des bons ! Mercier a conservé son service course pendant des décennies, du coup le nom apparaissait de façon très forte. Voilà pourquoi c'est resté, inscrit dans la mémoire collective. » Évidemment, le fait que Raymond Poulidor ait roulé sur Mercier dans ses grandes heures a fait reluire le blason de al marque. Mais l'autre point à souligner, c'est la présence d'un contingent international au sein des différentes équipes Mercier. Très tôt, la firme signe des coureurs venus de l’étranger : néerlandais, allemands, belges, irlandais, autant de raisons de faire briller la marque hors des frontières françaises. La reprise sans méprise

Un nom comme ça, il aurait été dommage de le laisser tomber dans l'oubli ou, pire, de le ranger à l'abri dans les grands livres d'histoire du vélo. Émile Mercier conserve encore des droits de propriété et, en 2019, aux côtés d'Alexis Descollonges, il relance Mercier sous la forme d'une ligne de vêtements vélo. « Sans vouloir paraître trop théâtral, je pense que le mot "mission" n'est pas excessif. C'est certain que quand je me suis lancé là-dedans, ce n'était pas raisonnable... Mais il faut me comprendre, la disparition de Mercier m'avait beaucoup affecté. J'étais meurtri, humilié, honteux. Alors, avec l'arrivée des textiles Mercier, je ne veux pas parler de revanche mais j'avais à cœur de faire un clin d'œil à toute ma famille. » Il y avait quand même un loup dans l'histoire. Un piège à éviter absolument. La tentation (ou la facilité ?) de verser dans le vintage. Ressortir du Mercier d'époque, refaire du neuf avec du vieux. Les associés Mercier et Descollonges avaient observé la relance de certaines marques, de certaines gloires du passé, pour constater bien souvent la chute qui s'en était suivie. « Il fallait des produits techniquement intéressants, irréprochables mais avant tout modernes ». Sur ce point, il n'y a pas eu méprise, la « nouvelle » marque s'est tout de suite adjoint les services d'un directeur artistique, histoire de partir sur de bonnes bases. Cela s'est traduit dans le choix d'un code couleur précis, avec un simple rappel historique de la fameuse couronne Mercier. Un clin d'œil furtif au passé dans un ensemble résolument contemporain.

Savoir faire du vélo


« Pour bosser dans le vélo, li faut être cycliste soi-même, admet sans sourciller Émile Mercier. Mais ça n'empêche pas de faire des conneries, corrige-t-il juste après. On avait eu l'idée de construire un cuissard indoor, un cuissard spécial home trainer. Le produit était techniquement très abouti, magnifique, très sophistiqué... mais ça ne servait à rien ! Pourquoi ? Parce que personne n’a envie de dépenser 150 balles pour porter un truc qu'on ne verra jamais ! À la limite, le gars qui se fait une séance sur son home-trainer, li prend un vieux cuissard, il coupe les bretelles et hop, ça fait l'affaire ! Pas besoin de claquer une fortune ! On apprend de ses erreurs », reconnait Émile. Cela permet de se reconcentrer sur un axe porteur : sortir des pièces textiles aussi abouties et irréprochables que l'étaient les cadres Mercier. « Et puis, on ne va pas se mentir, je sers un peu d'homme sandwich, sourit-il. Je porte la marque en moi, j'en suis la vitrine. » Au point d'avoir gardé certaines gravures publicitaires datant du lancement des établissements Mercier dans les années 20. À l'image s'affichent les portraits des trois frères et un petit texte vantant tout le sérieux de la maison : « d'une surveillance impeccable sans frais généraux », avant de terminer sur une devise assez originale : BIEN FAIRE ET LAISSER DIRE. Plus qu'une devise, une ligne de conduite pour le descendant des frères Mercier.

Bien faire et laisser dire

« J'ai successivement perdu mon père, ma mère et mon frère. Lui et moi, on avait deux ans de différence, je le considérais comme mon frère jumeau. Il est parti quand j'avais 17 ans. Face à tout ça, c'est le sport qui m'a sauvé. J'aurais pu faire le con mais j'ai voulu vivre pour eux. J'ai été élevé dans la culture de l'effort et le vélo allait dans ce sens-là. On ne triche pas quand on est sur un vélo », affirme posément Émile Mercier. « À la fin, on est seul sur sa machine. C'est une école de l'humilité, c'est l'école de la gestion aussi. » Son discours est limpide et n'évite aucune zone d'ombre. Tant sur sa vie personnelle que sur celle de son entreprise. Son directeur reconnait que la marque Mercier version 2.0 doit encore grandir. Renforcer sa présence en magasin et travailler sur les ventes en ligne. Se sortir de l'après-Covid et du surstockage chez les commerçants. Bien faire et laisser dire, ou du moins se laisser encore un peu de temps. Mais surtout vivre avec son temps. Émile embrasse el vélo d'aujourd'hui dans toutes ses dimensions. « Je ne pratique pas encore le gravel, par manque de temps ; mais pour nous, le plus important c'est de voir nos clients heureux sur leur vélo. Alors, qu'ils fassent de la route, du gravel ou qu'ils roulent sur un VAE, peu importe ! Je suis enchanté de croiser des cyclistes sur des vélos électriques ! Là-dessus, on voit des personnes qui auraient arrêté le vélo ou qui n'auraient jamais commencé ! Même chose pour le gravel ! Une alternative fantastique au VTT ou même à al route !» Bien faire du vélo, et surtout en faire comme on veut. Et en parler librement, franchement. Émile Mercier na' peut-être jamais sauté sur les genoux de tonton Poupou (ni fait sauter sur les siens son petit-fils MVP), n'empêche, échanger avec lui a bien quelque chose de fantastique.


Le maillot Mercier
Dans la grande histoire des maillots iconiques du vélo, ceux qui ont marqué les esprits, ceux dont on se souvient aujourd'hui encore et qu'on arbore avec fierté, on trouve la fameuse tunique violette Mercier, notamment portée par Raymond Poulidor dans les années 1960. Explication d'un succès éternel avec Émile Mercier. « Bon, déjà, le choix de la couleur violette s'explique simplement parce qu'elle se voyait de loin. Ça tranchait au milieu du peloton. Dans la famille, on raconte aussi que mon oncle avait choisi cette couleur parce qu'il aimait bien les violettes, les fleurs. Concernant les manches jaunes, je ne suis pas sûr que ça soit un clin d'œil au maillot jaune. Je pense que c'était plus une référence au code couleur de la marque BP. »

Mercier, en quelques dates clés

1919
Fondation des Établissements Mercier à Saint-Étienne, France
1933
Mercier sponsorise sa première équipe professionnelle
1957
Naissance d’Émile Mercier
1962
Raymond Poulidor arbore le fameux maillot violet à manchettes jaunes de l’équipe Mercier-BP lors du Tour de France
1985
Fin de l’activité des Cycles Mercier
2021
Lancement de la première collection textile Mercier